Monsieur le Ministre de la Culture, ne laissez pas le rideau tomber sur la Toneelhuis

Monsieur le Ministre de la Culture, ne laissez pas le rideau tomber sur la Toneelhuis

Guy Cassiers est le directeur artistique sortant de la Toneelhuis. Il a envoyé cette lettre au ministre flamand de la Culture. Aujourd'hui, elle est parue sous forme de lettre ouverte dans De Morgen.

Monsieur le Ministre de la Culture,

 

Je m’adresse directement à vous au sujet de l’avis négatif que la Toneelhuis a reçu de la commission d’évaluation. Vous comprenez que l’avenir de la Toneelhuis, dont j’ai assuré la direction artistique depuis 2006, me tient fort à cœur. La menace très réelle d’une réduction substantielle des subventions accordées par la Communauté flamande, voire leur cessation complète, constitue pour moi une préoccupation majeure en ce moment.

Ce que je ne parviens pas à comprendre, c’est que l’institution théâtrale la plus subventionnée de Flandre puisse passer du jour au lendemain d’une dotation de 3,1 millions d’euros à zéro euro ! L’avenir de la Toneelhuis ne peut pas dépendre d’un avis négatif concernant son possible contenu artistique et sa gestion financière et administrative. Mon mandat arrive à terme à la fin du mois de juin, je ne peux et ne veux donc pas aborder le dossier, ni l’évaluation négative de la commission. Je souhaite vous brosser un tableau plus complet.

Je ne vous apprends rien en vous disant que la Toneelhuis est le plus grand théâtre municipal de Flandre, qu’elle est située au centre-ville de la grande métropole de la région, dans un magnifique édifice historique, le Bourla. Avec mes collègues du KVS et du NTGent, j’ai eu l’occasion de discuter au cours des dernières années avec vous et avec des membres de votre cabinet de la possibilité d’être reconnus comme Institution artistique. Malgré leurs différences, ou précisément grâce à leurs différences, les théâtres municipaux de Flandre constituent d’importantes références artistiques dans le paysage flamand des arts du spectacle vivant. Le statut d’Institution artistique permettrait que cette position ne soit pas remise en question. Non pas qu’il reviendrait auxdites institutions artistiques de bénéficier d’une approche moins critique, bien au contraire, mais leur pérennité dans l’ensemble du champ artistique et culturel ne dépendrait plus des évaluations. Il faudrait garantir leur ancrage structurel.

À ce jour, la Toneelhuis est une organisation dotée d’un solide enracinement artistique et managérial. Le modèle de la Toneelhuis – un ensemble composé de créateurs de théâtre très divers qui travaillent côte à côte – est devenu un moule artistique unique qui a rapidement suscité l’attention et l’appréciation de pays à la grande tradition de théâtre, tels que la France et l’Allemagne. La présence récurrente de productions de la Toneelhuis dans moult prestigieux théâtres et festivals des arts à l’étranger (parmi les le festival d’Avignon) lui vaut une renommée internationale. La Toneelhuis est connue et reconnue dans le monde.

Avec toute mon équipe, je peux me retourner sur les années passées à la Toneelhuis avec satisfaction. La Toneelhuis a donné à des créateurs très divers la possibilité d’approfondir leur travail artistique et de trouver un large public. Avec l’aide de la Toneelhuis, les créateurs ont pu s’enraciner à Anvers et conquérir la scène internationale à leur propre rythme. La Toneelhuis a par ailleurs développé un modèle unique de passerelle qui met l’accent sur l’évolution vers la grande salle et la maîtrise des compétences du métier avec laquelle cette évolution va de pair. Je me réjouis aussi que certains créateurs de théâtre qui m’ont rejoint fassent désormais partie de l’avenir de la maison, aux côtés de nouveaux créateurs.

La Toneelhuis est profondément ancrée dans les réseaux locaux, nationaux et internationaux et a la réputation d’être un partenaire fiable, synonyme de qualité, de dialogue et de coopération ouverte. Le Bourla est une scène iconique pour de nombreux jeunes créateurs (festival Love at First Sight), pour d’autres compagnies (festival Antwerpse Kleppers, échange de maisons avec le KVS et NTGent, coopérations avec Tutti Fratelli et Behoud de Begeerte) et plusieurs formations musicales. Une grande partie du budget artistique soutient des productions d’autres compagnies et artistes à travers la Flandre.

Tout cela n’a pu se réaliser que grâce au professionnalisme, à la diligence et au dévouement avec lesquels les nombreux collaborateurs – allant du département de la communication à l’atelier de décors, de l’administration à la technique, et du département pédagogique à la billetterie – ont toujours accordé toute leur attention et consacré tous leurs efforts aux artistes et à leurs créations. Des productions monumentales telles que JR de FC Bergman seraient impossibles à réaliser sans le tour de force de notre atelier de décors, unique au Benelux. Une production comme Angels in America d’Olympique Dramatique serait inenvisageable sans le savoir-faire de nos techniciens. La Toneelhuis réussit chaque fois à atteindre la plus haute qualité pour les artistes les plus divers.

Tout comme on l’observe dans d’autres pays, la pérennité d’une institution artistique majeure telle que la Toneelhuis ne devrait pas dépendre de l’évaluation d’un dossier spécifique. Le fruit d’années de travail et de fonctionnement professionnel pourrait ainsi en venir à très vite disparaître, avec toutes les conséquences qui s’ensuivent. Cherchons donc un autre mode d’évaluation et garantissons à cette belle maison son ancrage afin que des situations aussi dramatiques ne puissent plus se reproduire.

Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de mes sentiments distingués,

Guy Cassiers